Calais entre la jungle et l'espoir

Il y a la « Jungle », les squats, le quai de la Moselle où chaque soir les associations distribuent de la nourriture. Il y a les parkings où stationnent les camions en partance pour l’Angleterre, et les tentatives -chaque jour renouvelées - d’embarquer vers l’Eldorado en ouvrant une remorque ou en se glissant sous des essieux. Il y a la police, les contrôles, les passeurs. Il y a les rixes aussi, les tensions entre migrants, l’exaspération de certains Calaisiens, mais aussi l’indéfectible engagement bénévole et militant de certains autres. Il y a les discours politiques, les visites éclair pour dire qu’on occupe le terrain, les petites phrases…

Il y a tout ce qui est visible, palpable, photographiable. Tout ce qui parle de politique migratoire, d’enjeux économiques ou sécuritaires, de situation sanitaire et puis il y a le reste. Le plus important. Ce que l’on ne voit pas, ce que l’on ne veut pas ou plus entendre, ce que parfois, trop souvent on ignore : les raisons de l’exil, l’histoire et le désespoir de ceux et celles qui habitent dans la « jungle », peuplent les squats ou hantent le quai de la Moselle dans une longue file d’attente qui mène à un plat chaud.

Ce sont autant d’histoires de fuite, de souffrance, de violence et de révolte qui transforment l’attente d’un hypothétique futur anglo-saxon à Calais en passage d’espérance.


Dans le dictionnaire, le mot jungle a un sens propre (« formation végétale qui prospère sous un climat chaud et humide ») et un sens figuré (« milieu où règne la loi du plus fort »).

A Calais, tout le monde parle de la jungle. Mais dans la ville du tunnel sous la Manche, ce mot signifie: « sous-bois et étendue sableuse situés dans une zone industrielle à l’est de ville, dans lesquels survivent dans des conditions extrêmement précaires des hommes et de plus en plus de femmes venues principalement du Soudan, d’Erythrée, d’Ethiopie en attendant de pouvoir rejoindre l’Angleterre,  considérée comme le nouvel Eldorado ».


Douze ans après la fermeture du camp de Sangatte, Calais fait face à un afflux de migrants sans précédent.

Leur nombre a doublé en quelques mois. Aujourd’hui, 2.000 à 3.000 personnes, faute de centre d’accueil, vivent dans la « jungle de Calais » et dans les différents squats et campements de fortune créés sur des sites industriels ou des gymnases désaffectés de la ville.

Sans surprise, les Calaisiens parlent de leur « exaspération » les responsables politiques évoquent « l’urgence d’assurer la sécurité des intérêts économiques de la zone portuaire», les associations qui s’occupent des migrants se disent débordées et à bout de souffle.

Les chiffres inquiètent, les images spectaculaires de migrants prenant d’assaut des files de camions bloqués dans les embouteillages font le tour du web, occupent les pages des journaux et ont finalement contraint le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, à annoncer la création prochaine d’un nouveau centre d’accueil, comme le réclamait depuis le début de l’été la maire de la ville.

L’Etat a « enfin réagit », la pression médiatique baisse, mais les associations qui s’occupent des migrants ne cachent pas leur scepticisme : pour elles, ce centre a d’abord pour but d’éloigner les migrants du centre ville, de « les assigner à l’invisibilité », il ne suffira pas à faire face à leur nombre croissant ; et il est en plus peu probable qu’il soit fonctionnel avant la fin de l’hiver.

Pendant de longs mois, les pires de l’année, des milliers de migrants vont donc continuer à voir leur conditions de vie se dégrader et leur désespoir augmenter : le passage est de plus en plus difficile, ce qui accroit les tensions et les violences.

 Bertrand Gaudillère et Catherine Monnet