Shanti Khana

Textes : Guillaume Pajot

Photographies : Hugo Ribes

Sujet réalisé avec le soutien de la bourse European Journalism Grants


Le plus grand camp de réfugiés au monde a poussé sur des collines de poussière et de glaise, des montagnes dénudées dont les arbres ont été abattus, les éléphants chassés. C’est une prison à ciel ouvert, cernée de checkpoints, de caméras et de barbelés. Le désespoir à perte de vue.

Le gigantesque camp de Kutupalong, et ceux des alentours, à deux heures de route de Cox’s Bazar, au sud-est du Bangladesh, hébergent près d’un million de réfugiés rohingyas. Depuis des décennies, ces musulmans sunnites sont persécutés en Birmanie, de l’autre côté de la frontière, à seulement quelques kilomètres de là. La plupart d’entre eux ont fui au Bangladesh en 2017, lorsque l’armée birmane a mené dans l’Arakan, leur région d’origine, une violente campagne de nettoyage ethnique : massacres, viols, pillages, incendies de villages… Plus de 10 000 personnes auraient été tuées selon Médecins sans frontières (MSF). Une mission d’enquête des Nations unies, ainsi que plusieurs pays, dont les États-Unis, ont conclu à un génocide.

La Birmanie a rendu cette minorité apatride, l’a privé de l’accès à la citoyenneté, à l’éducation et à la santé, considérant que les Rohingyas étaient des indésirables, des “migrants illégaux” venus du Bangladesh voisin. Le mot même de “Rohingya”, devenu tabou, n’est pas prononcé par les autorités, comme s’ils n’existaient pas. Arrivée au pouvoir à la faveur d’élections libres en 2015, avant d’être renversée par un putsch militaire, Aung San Suu Kyi, ancienne dissidente et prix Nobel de la paix, se gardait bien de le prononcer, pour ne pas froisser ses soutiens les plus nationalistes.

Au Bangladesh, les réfugiés rohingyas, dont la moitié sont des enfants, végètent dans des camps immenses sans avoir le droit d’en sortir, ni même de travailler. Ils sont des proies faciles pour les gangs et les trafiquants d’êtres humains qui opèrent dans la région. L’espoir d’un retour au pays n’a jamais été aussi mince, surtout depuis qu’une junte militaire a pris le pouvoir à Naypyidaw, la capitale birmane, en février 2021.

L’avenir paraît sombre. Mohamed Tahar, un réfugié rohingya de 39 ans, a l’impression de flotter sur une rivière, d’être entraîné par ses courants, pour toujours. Une fuite sans fin. “Pour les Rohingyas, cette rivière n’a pas de rivage”, dit-il.